Thich Nhat Hanh nous livre dans ce texte sa compréhension d’un des enseignements sur la méditation les plus pratiqués par les moines et les laïcs : une explication détaillée de la pratique d’Anapana Sati, quelquefois traduite par « l’attention au va et vient du souffle »
Par Thich Nhat Hanh
Nous pouvons dire que notre corps est un autel et nous ne devons pas laisser notre corps vacant. Nous utilisons notre respiration pour ramener notre esprit à notre corps. Quand on regarde un temple déserté nous savons que ce temple est abandonné. Ce n’est pas la peine de réfléchir pour le savoir qu’ il n’y a personne à l’intérieur pour s’en occuper. En regardant quelqu’un qui n’est pas en pleine conscience, nous savons tout de suite en observant comment il s’asseoit, marche, parle et travaille que cette personne ne pratique pas la pleine conscience. Il est comme un temple sans abbé et sans résident.
Lorsque nous pratiquons la méditation assise, nous devons d’abord ramener notre corps à notre esprit et notre esprit à notre corps. Nous nous asseyons de façon à être réellement présent. Ce n’est pas difficile. Lorsque nous pratiquons la pleine conscience, nous établissons notre présence dans le moment. Lorsque notre corps et notre esprit ne sont pas en unité dans le moment nous sommes dispersés. Lorsque notre corps et notre esprit font un, nous sommes concentrés, le contraire de dispersés. C’est très simple. C’est la réalité de notre pratique. Lorsque nous nous asseyons, nous rassemblons notre corps et notre esprit, lorsque nous mangeons nous rassemblons notre corps et notre esprit. Ce qui est le plus précieux, c’est d’avoir la possibilité de faire cela. Dans la société, parfois nous n’avons pas la possibilité de le faire. Mais dans l’environnement d’un centre de pratique, cette possibilité nous est offerte. C’est pour cela que nous avons rejoint le corps du Sangha. Chaque personne présente est une inspiration pour notre pratique.
Lorsque nous sommes assis en méditation, personne ne nous pose de question, personne ne nous demande de faire quoi que ce soit : nous sommes complètement libres et par conséquent la qualité de notre assise ne dépend que de nous-mêmes. Si notre assise est bonne, nous sommes comme une montagne dans le moment présent ; nous nous ouvrons comme une fleur. Si notre assise n’est pas bonne, les pensées nous emportent. La façon dont nous nous asseyons ne dépend que de nous-même.
Le Bouddha a dit à ses moines : " Pour pratiquer, il suffit d’un peu d’herbe au pied d’un arbre, rien de plus. Un endroit tranquille suffit, le reste vous appartient.
Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’une salle de méditation et de notre Sangha. Toutes les conditions nécessaires sont réunies.
S’asseoir en méditation, c’est être vraiment là dans le moment présent. C’est la présence de l’union du corps et l’esprit. Grâce à celle-ci, nous sommes en contact avec la vie. Parce que la vie ne peut être qu’ici et maintenant. Ce genre de contact est très profond.
Dans du soutra sur l’attention au va et vient du souffle (Anapanasati), le premier objet de la pleine conscience est notre corps. C’est pour cela que le corps est notre temple. Nous devons donc le respecter, comprendre son importance et y revenir sans cesse car il est notre refuge. Si nous sommes dispersés, si notre corps tombe malade, nous n’avons plus de refuge, nous n’avons plus de temple auquel retourner. Les gens autour de nous pratiquent aussi de façon à ce que leur corps soit leur temple. Nous retournons à notre corps pour en prendre soin, pour être présent dans notre temple, de façon à ce que notre pratique ait un effet pas seulement pour nous mais aussi pour notre Sangha. A ce moment notre temple est pris en charge et il devient un refuge non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour ceux qui nous entourent.
Le soutra sur l’attention au va et vient du souffle commence ainsi :
Quand j’inspire, je sais que j’inspire.
Quand j’expire, je sais que j’expire.
Quand j’inspire longuement, je sais que c’est une longue inspiration.
Quand j’expire longuement, je sais que c’est une longue expiration.
Quand cette respiration est profonde, je sais que cette respiration est profonde.
Quand cette respiration est lente, je sais que cette respiration est lente.
Nous sommes présents pendant que nous inspirons et expirons. Pendant que nous inspirons, nous pratiquons. Pendant que nous expirons, nous pratiquons. Les inspirations se continuent dans les expirations qui se continuent dans les inspirations. C’est comme quand on joue du violon. Nous sommes conscients du mouvement de l’archet vers le haut puis vers le bas. Chaque mouvement est une continuation de l’autre : Inspire Expire Inspire Expire. Si vous êtes musicien, vous gardez votre archet sur les cordes. Si vous êtes un méditant vous gardez votre esprit sur votre respiration et vous ne vous dispersez pas.
Un violoniste suisse connu venait pratiquer au Village des Pruniers, et un jour, alors que j’enseignais la pleine conscience de la respiration, il a fait la remarque suivante :
Il n’y a pas d’espace entre l’inspiration et l’expiration, c’est comme le son du violon qui ne s’interrompt pas entre le mouvement ascendant et le mouvement descendant de l’archet.
Nous pensons qu’il y a interruption entre l’inspiration et l’expiration mais lorsque l’on respire correctement il n’y a pas d’interruption. On peut représenter cela sous la forme d’un 8. Lorsque la pleine conscience est maintenue, c’est ainsi qu’est la respiration ; sans interruption. J’inspire et je suis conscient pendant toute l’inspiration, pas seulement quand je commence à inspirer et quand l’inspiration se termine. Même chose avec l’expiration. Lorsque j’inspire et que j’expire je deviens la respiration et je ne suis que cela Je ne suis rien d’autre, je ne pense pas, je n’ai ni pensée initiale ni pensée successive. Lorsque je dis "Ceci est une inspiration", c’est simplement une reconnaissance, ce n’est pas une pensée. C’est cela la méditation guidée, c’est reconnaître la qualité de notre respiration.
Dans la méditation nous utilisons des images et non des idées :
J’inspire, je suis une montagne, j’expire, je me sens solide comme une montagne.
J’inspire, je me sens comme une fleur, j’expire, je suis frais (ou fraîche ) comme une fleur.
J’inspire, je suis l’eau calme, j’expire, je reflète ce qui est vrai.
Ce ne sont pas là des pensées, ce sont des images que l’on utilise en méditation. Une personne qui médite est comme un poète. La respiration, c’est notre musique. Les images sont notre poésie. Si notre esprit va se dispersant en toutes directions, ce n’est pas un véritable poème. Lorsque nous pratiquons l’attention à la respiration, nous sommes la respiration, nous mettons toute notre attention dans la respiration, iI n’y a pas de pensées et nous maintenons notre pleine conscience, notre concentration, grâce à notre respiration. La respiration est suivie.
Les quatre premières respirations que le Bouddha a enseignées sont :
J’inspire une longue inspiration et je sais que c’est une longue inspiration.
J’expire une longue expiration et je sais que c’est une longue expiration.
J’inspire une inspiration courte et je sais que c’est une inspiration courte.
J’expire une expiration courte et je sais que c’est une expiration courte.
C’est cela suivre sa respiration, A la troisième respiration, c’est différent :
J’inspire et je suis conscient de mon corps tout entier.
Lorsque nous pratiquons ainsi, nous utilisons la pleine conscience juste pour envelopper tout notre corps. La respiration, c’est la pleine conscience ; c’est un train qui transporte. Il est possible que ce train soit vide. Respiration pure. A partir de la troisième respiration il y a quelque chose dans ce train ; notre corps. Lorsqu’on dit "J’inspire, c’est la respiration pure. Mais lorsqu’on dit : " J’inspire et je suis conscient de mon corps" La respiration transporte quelque chose. "Je suis une fleur". La respiration transporte la fleur."J’expire et je sais que je suis frais (ou fraîche)". Nous sommes l’expiration, notre expiration transporte la fraîcheur d’une fleur. La respiration n’est plus simple, elle transporte quelque chose Lorsque nous expirons, l’objet de notre attention, c’est l’expiration, mais aussi le sourire que nous apportons à la fleur.
La respiration peut être pure et simple mais peut aussi avoir un.objet. Cet objet est maintenu pendant toute la durée de notre respiration :
"J’inspire et je suis conscient de mon coeur ".
Pendant toute mon inspiration, je sais que c’est mon inspiration, mais je sais aussi que mon coeur est présent Nous devons maintenir la pleine conscience de notre coeur pendant toute la durée de notre inspiration. En expirant, l’objet de ma pleine conscience est mon sourire à mon coeur. Ce sont des choses que l’on peut voir immédiatement dans le soutra sur la pleine conscience de la respiration. L’inspiration commence et finit là, et l’objet de notre pleine conscience juste, c’est notre respiration. Mais si nous transportons un autre objet avec notre respiration c’est aussi la chose avec laquelle nous sommes en contact pendant toute notre inspiration. L’inspiration, c’est l’objet numéro un, et l’expiration c’est l’objet numéro deux.
Le Village des Pruniers
LA PRATIQUE DE LA PLEINE CONSCIENCE
Décembre 1994
Thich Nhat Hanh